Roméo et Juliette de Julien Prothière et Jean-Philippe Sahut chez Sylex : ça coopère sévère à Vérone
On continue dans la série des jeux découverts à Essen (The River, Pirate Rumble), on est passé au stand de nos amis de Sylex, les créateurs de Dreamscape, mon coup de coeur Essen 2017. Ici pas question de rêves, mais plutôt d’amour : Roméo et Juliette est un jeu coopératif pour deux joueurs exclusivement.
Billet posté peu après Essen 2018. Mis à jour après Cannes 2020 et enfin en septembre 2020 pour la sortie du jeu en boutique. Merci à Sylex de m’avoir envoyé gratuitement le jeu suite au billet original.
Si l’on met de coté les livres de Lewis Carroll, de Grimm ou bien de Disney, les adaptations en jeux d’oeuvres littéraires ne sont pas si nombreuses que ça. Me viennent en tête les Piliers de la Terre en pose d’ouvriers, un jeu de l’oie amélioré pour le tour du monde en 80 jours ou Nemo’s War en Solo. Alors j’étais vraiment curieux de voir ce qu’on pouvait faire du monument Roméo et Juliette. Les auteurs auraient pu taper dans la facilité avec un énième dérivé de Love Letter thématisé à la sauce Shakespearienne, mais que nenni, on nous annonce un jeu coopératif à deux joueurs, alléchant n’est- ce pas ?
Dans Roméo et Juliette by Sylex, chaque joueur incarne une famille de Vérone : les Capulet ou les Montaigu. Le but du jeu est de faire triompher l’amour *hum hum* C’est niais mais efficace :)
Le jeu aux travers de somptueux tableaux nous permet de nous balader dans les différents lieux de la ville : ils forment le plateau de jeu principal. En allant à tel ou tel endroit, les joueurs vont pouvoir activer des pouvoirs plus ou moins puissants.
Deux pistes sont aussi présentes: « Haine » et « Amour ». Si le marqueur amour arrive au bout de sa piste avant le marqueur haine les joueurs gagnent, sinon c’est une fin tragique à base de poison (mais vous connaissez les détails).
Les joueurs ont en mains les cartes de leur famille respective : d’un coté les cartes chaperons et de l’autre des cartes lieux. Les mains des deux familles sont différentes : les Montaigu plutôt sanguins (d’ailleurs famille de couleur rouge) ont plus de cartes « négatives » que le clan Bisounours Capulet.
Où tu iras j’irais
Les manches de jeux se déroulent de la façon suivante : chaque joueur choisi secrètement deux cartes :
- Un lieu où déplacer sa figurine
- Un chaperon avec lequel il va se déplacer.
Facile non ? Ou pas… Les joueurs ont une main composée uniquement de 3 cartes de chaque type et vont la compléter à chaque fin de tour. De plus les joueurs n’ont pas le droit de se parler au moment du choix des cartes. Ça se complique largement.
Mais vous me direz, ok, on joue deux cartes et puis… et puis le but est d’amener Roméo et Juliette sur le même lieu pour faire avancer le marqueur « Amour ». Mais attention si au moins un membre de chaque famille sont sur le même lieu, les hostilités démarrent et le marqueur haine avance d’une case. Il va falloir jongler judicieusement avec les pouvoirs des lieux ou des personnages pour éviter de (trop) propager la haine à Vérone.
Vous avez un message
Bon on ne va pas se mentir, c’est très dur dans ces conditions de faire progresser le marqueur amour sur la piste. pour nous aider à choisir nos cartes, nous allons pouvoir nous envoyer des missives pour communiquer «Oh ma Juliette, je vais aller à l’église au prochain tour, ça te va ? » Mais forcément, les missives sont limitées en nombre et c’est plutôt compliqué d’en gagner : il va falloir choisir entre amour et raison. Lorsque l’on choisi ses cartes lieux/chaperons, on peut décider de ne pas faire avancer le marqueur amour ce tour-ci mais à la place de gagner chacun un jeton missive . C’est cruel je l’accorde, mais ça permet de bien préparer les prochains coups.
Un jeu évolutif
Comme l’on peut retrouver dans différents jeux récents, la difficulté des parties va monter crescendo car non seulement l’installation du jeu change (placement initial des chaperons, nombre de missives en stock etc…) mais aussi la difficulté des événements apparaissant dans la partie. Plus les parties s’enchainent, plus c’est compliqué de remporter une manche : ça ajoute un gros challenge au fur et à mesure des parties.
Vérone la magnifique
Je ne peux pas terminer ce billet sans évoquer le matériel : cette boite sortie de l’imagination de Benjamin Treilhou est juste merveilleuse. Le design frôle la perfection. Il y a de quoi faire pâlir les autres éditeurs. Voilà ce qu’on voudrait voir plus souvent : le matériel sert le propos du jeu : elle est utile. Ca m’a fait pensé un peu à Dice forge où j’avais vraiment aimé l’utilisation de l’insert et surtout de la boite de rangement des faces de dés.
C’est vraiment malin et ça ajoute un coté wahou au jeu : on ouvre la boite, on distribue les cartes et c’est bon, on peut jouer. Je grossis légèrement le trait mais c’est l’idée. On peut voir le résultat dans la vidéo suivante :
Le travail de David Cochard est grandiose, non mais regardez moi cette couverture. On n’est pas dans une représentation traditionnelle des amoureux sur le balcon. On est ici face à un baiser chaste mais on ressent la passion entre les deux personnages, c’est très interessant ce choix artistique, on est plus proche d’une peinture renaissance que d’une couverture d’une boite de jeu (d’ailleurs l’effet peinture écaillée sur la boite n’y est pas pour rien).
Ca claque dans les étagères des magasins de jeux, je vous le dit !
L’amour triomphe toujours parfois
Cette version de Roméo et Juliette de Julien Prothière et Jean-Philippe Sahut est un excellent jeu de communication non verbale. Il se passe réellement quelque chose lorsqu’on y joue. Le fait de ne pas parler est une très bonne idée. Et surtout ça colle pile au thème d’un arrangement secret d’un rendez-vous amoureux sans communication verbale: un peu comme à l’époque, seule la chance ou quelques missives bien envoyées permettaient de se voir. C’est malin, très malin.
L’un des auteurs, Julien Prothière, a fait des jeux coopératifs et de communication sa spécialité (1) : récemment est sorti La marche du crabe où deux joueurs doivent coopérer pour sauver leurs potes crabes SANS parler (et oui vous avez déjà vu des crabes parler ?). Dans le même style, il a aussi travaillé sur [kosmopoli:t], un jeu où l’on gère une brigade d’un restaurant où les clients commandent dans une langue que l’on ne comprend pas. Vous voyez le truc ? On voit bien que c’est son dada.
J’apprécie grandement les jeux coopératifs sans possibilité de parler ouvertement, cela évite l’effet Leader qui prend en main les choses en écrasant ses coéquipiers. On est dans la vrai coopération et non pas dans un jeu en équipe avec un chef qui donne les ordres. C’est tellement plus agréable, mais tellement frustrant pour ceux qui ne sont pas habitués à subir les décisions plus ou moins logiques des autres.
Dans Roméo et Juliette, la chance est bien présente sur le tirage initial des mains, mais on peut la gérer sans problème : les premières parties sont rudes mais rapidement on comprend que rien ne sert de courir, il vaut mieux préparer son coup et se retrouver sur le balcon et monter de deux sur la piste amour que d’y aller un peu au hasard.
La courbe d’apprentissage est assez rapide, on retrouve une certaine similarité avec un Magic Maze. Le fait de ne pas pouvoir parler va obliger les joueurs à débriefer à la fin de la partie pour s’améliorer en continue. (ahah, Scrum sort de ce blog).
Le mot de la fin
C’est encore un coup de maître de Sylex, après le génialissime Dreamscape de David Ausloos et Pierre Steenebruggen qui m’a fait rêver pendant de nombreuses parties, nous voilà avec Roméo et Juliette, un jeu qui entre direct dans mon top coopératif. Vivement les prochains !
Roméo et Juliette est un jeu d’apparence simple mais gagner nécessite une grosse dose de réflexion sur le choix des cartes et surtout une bonne communication non verbale entre les deux joueurs. Il n’est pas aisé de faire gagner l’amour mais bon, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
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(1) Interview de Julien Prothière au Festival du jeu à Vichy 2020 sur Youtube.