Everdell de James A. Wilson, une forêt merveilleuse où il fait bon vivre.
J’ai lu pas mal d’avis divergents sur Everdell dernièrement. Ce jeu issu d’un Kickstarter à succès est arrivé pour de bon dans nos campagnes françaises. J’ai écris un billet sur les différentes versions du jeu pour aider à s’y retrouver. Heureusement la localisation récente par Matagot va bien arranger les choses.
Everdell est clairement mon jeu de 2021, j’en ai fait des dizaines de parties, vraiment, j’aime ce jeu. Il n’est pas exempt de défauts mais dans sa globalité et de mon point de vue, ce jeu est un must-have.
Pour avoir les règles en détail, je vous laisse aller voir la vidéo du pion de jeu de société qui est bien détaillée. Nous allons laisser de coté les règles et nous attarder sur les mécaniques et le jeu en lui même.
Les mécaniques principales d’Everdell
La pose d’ouvriers
Everdell est un jeu de pose d’ouvriers, c’est clairement le type de jeu que j’affectionne et dont je parle très souvent ici. Nos petits ouvriers vont nous être utiles de différentes façons, soit nous servir à effectuer des actions sur le plateau central ou bien être joués dans notre espace de jeu au fur et à mesure que l’on développe notre village. On est sur du classique : les actions majeures du plateau centrales sont limitées en nombre de place et cela force donc l’interaction entre les joueurs. Mieux vaut-il aller chercher du bois ou de la pierre ? Se placer pour valider un objectif ou bien attendre encore un peu ?
Durant les premières parties on est très focalisé sur son propre espace de jeu. On lève la tête de temps en temps pour vérifier que tel ou tel emplacement est encore libre. Mais en général l’interaction ne va pas plus loin. Mais les choses changent rapidement lorsque l’on connait mieux le jeu et surtout les cartes. Celles proposant des actions ouvertes sont très ou trop souvent laissées de coté. « oh mon dieu, ça va donner un point de victoire à l’autre joueur » Alors que c’est justement ces actions qui donnent le piment au jeu. L’action de l’auberge (action ouverte: construire pour -3 n’importe quelle carte de la prairie) par exemple est tellement forte qu’elle vaut bien un point de victoire à l’autre joueur. A noter que dans l’extension PearlBrook, on trouve des petits panneaux 3D indiquants dans l’espace de jeu personnel qu’il existe une action ouverte disponible pour tous.
La désynchronisation des joueurs
Habituellement dans les jeux de pose d’ouvriers, on récupère des meeples en faisant des actions particulières, dans les Rajas du Ganges, c’est lorsqu’on dépasse une certaine limite sur les pistes de score, dans Trickerion, on doit carrément aller acheter nos ouvriers. Dans Everdell, c’est service minimum : on récupère des meeples lorsque l’on change de saison… Mais attention, étant donné que le changement de saison ne s’effectue pas en même temps pour tous les joueurs, certains vont avoir plus d’ouvriers en main que d’autres. Mais, et il y a bien un mais, ils ne serviront pas forcément immédiatement car les meeples restent positionnés sur le plateau tant que les joueurs n’ont pas changé de saison.
Je pense que c’est l’une des facette du jeu que j’affectionne le plus. La désynchronisation quasi obligatoire entre les joueurs pour espérer gagner. Si je change de saison trop tôt, les meilleures actions du jeu sont encore bloquées par les ouvriers des joueurs qui n’ont pas encore sauté le pas. Mais si je change de saison trop tardivement, les bons emplacements sont de nouveau pris.
Everdell est un jeu où le timing est essentiel. J’ai mis un peu de temps à le voir ou du moins à l’appréhender. Je voulais toujours avoir plus de meeple pour faire encore plus d’actions… mais qui au final n’étaient pas forcément top. Seul contre-argument est le passage à l’automne où le premier joueur à enfiler son manteau est assuré de marquer le maximum de points sur le voyage. C’est clairement une volonté de l’auteur de récompenser le joueur qui aura décidé de clôturer l’été en premier.
Le chaînage
Un autre point sous et sur estimé du jeu est le chaînage bâtiments-créatures. Il est tentant d’utiliser à outrance le chainage pour construire le plus rapidement des créatures qui sont souvent de bons bonus en début ou milieu de partie. Mais attention, le village est limité à 15 emplacements, rapidement les créatures « très interessantes en début de partie » vont rendre le village un peu trop étroit. Il faudra faire de la place… à condition d’avoir les bonnes cartes en main. Il m’est arrivé de me retrouver en début d’automne avec mon village plein… Et bien ça sert pas à grand chose d’avoir plein d’ouvriers en main si on ne peut rien en faire.
Je trouve cette ambivalence dans le chaînage bien trouvé, là où dans un 7 Wonders le chaînage est clairement une façon de jouer (coucou les cartes vertes). Dans Everdell, le chainage n’est pas forcément notre ami. La tentation de la carte gratuite est grande mais à trop en faire, on marque moins de points en fin de partie.
C’est génial: on te donne un moyen de te développer vite mais si tu en abuses, tu perds ! Ce n’est pas parce que l’on peut placer une carte qu’il faut la poser.
Une partie après l’autre
Une grande force d’Everdell est sa rejouabilité. A chaque partie certains éléments de jeux sont complètement différentes: on tire 4 évènements parmi 16 et 4 lieux forets parmi 11. Les cartes forêts vont un peu orienter la façon de poser ses meeples car elles changent les actions du plateau principal. Les cartes événements par contre altèrent complètement la priorité des constructions et recrutements de son village.
J’ai lu plusieurs critiques à propos de la rejouabilité, que les cartes n’étaient pas assez diversifiées ou nombreuses. Je suis assez d’accord, moi aussi j’aimerais avoir une multitude de cartes à jouer comme on trouve dans un It’s a Wonderful World, mais à quoi bon ? La pioche ne tourne pas assez. A quatre joueurs, on rebat une (ou peut-être deux) fois les cartes de la défausse pas plus. Personnellement on joue avec certaines cartes bonus de la version collector du jeu. Cela ajoute quelques éléments de gameplay en plus (une dizaine de cartes seulement).
Je n’ai néanmoins pas tester les autres extensions, un système de meulage de la pioche serait certainement intéressant.
Un engine building au rabais
Everdell au fil des saisons nous permet de développer notre village.Les bâtiments créés ou les créatures recrutées vont ajouter des bonus, des actions ou bien de la production de resources. La phase de production, bien qu’interessante, n’est pas forcément indispensable. La production habituellement dans ce style de jeux permet de créer un moteur autour duquel va se tourner notre partie. « Je produis de la pierre et un autre bâtiment va me transformer la pierre en une autre ressources que je vais transformer en points de victoires ». Imperial Settlers est l’une de mes références dans ce style.
Mais dans Everdell, la production n’est clairement pas obligatoire. On a la possibilité d’aller récupérer des ressources ailleurs avec nos ouvriers et en posant dans son village les bons bâtiments/créatures. Très souvent on peut largement s’en passer et se concentrer sur les actions qui apportent vraiment des points de victoire. Le juge par exemple permet de compenser une faiblesse de production en transformant une ressource en une autre : autant aller chercher plein de bois sur le plateau principal avec ses ouvriers et le transformer en autre chose lors des constructions.
C’est peut être ma petite déception, je m’attendais vraiment à de l’engine building et je me retrouve avec le service minimum : je produis des resources et je les utilises pour construire d’autres choses avec. Il n’y a pas cet aspect chaine de production et transformation que j’affectionne particulièrement.
Mais des combo à la pelle
Que l’on décide d’utiliser des cartes de productions ou non, notre village va (normalement) prospérer et avec lui nos possibilités de combos et d’actions. Les cartes sont variées et aucun village ne se ressemble. Bien qu’orientés par les objectifs spéciaux, rapidement des stratégies différentes se dégagent dans les villages. James A. Wilson a bien maîtrisé son jeu. Bien qu’assez avare sur le nombre de cartes différentes en jeu, il existe une sorte de synergie entre-elles. Le pari est réussi, ça ne sert à rien d’inonder le joueur de cartes si finalement on arrive a faire de jolies choses avec moins. C’est la leçon de vie de Res Arcana.
La montée en puissance dans le jeu est bien présent: l’hivers va durer quelques minutes alors que l’automne sera aussi long que les trois autres saisons réunies. On va faire de plus en plus d’actions. E n premier lieu grâce aux ouvriers que l’on récupère en plus à chaque saison… Mais c’est surtout par les cartes dans notre village que l’on va optimiser les actions, réduire le nombre de resources nécessaires, refaire des actions, poser gratuitement des cartes etc…
Mais qui dit combo possibles dit Analysis Paralysis… Et j’avoue que parfois je bloque dans le calcul de mes optimisations de resources et sur mes prochains coups.
Il y a un moment, the moment où il faut faire le choix de commencer à engranger des points de victoire. Ce point de bascule dans le jeu garantie la victoire si le timing est bon.
Ca se passe généralement en fin d’été / début d’automne. On commence à faire le ménage dans les bâtiments ou créatures qui n’apportent plus grand chose au jeu. L’université est une carte essentielle à posséder. Personnellement je temporise la suppression des bâtiments de production jusqu’à l’automne et je tente d’en remplacer un par un Palais ou un Arbre Eternel. C’est une bonne avancée vers la victoire.
Une Direction Artistique exceptionnelle
Le dernier point fort d’Everdell que l’on ne peut ignorer est sa direction artistique qui est tout bonnement sublime. Starling Games a fait appel à Andrew Bosley, un artiste connu et reconnu. Il a travaillé sur Tapestry, The River, Love Letter ou Caylus. Sur Everdell il s’est dépassé, il a réussi à créer un monde cohérent, j’ai rarement vu ça dans un jeu. Je ne sais pas si les dessins d’Andrew subliment les mécaniques ou l’inverse. Everdell sans Andrew Bosley aurait certainement une aura bien moins forte. Il a su utiliser l’anthropomorphisme correctement: on habille les petites bestioles mais on garde les proportions. Ce n’est ni niais, ni glauque. A l’inverse d’un 10′ Minutes to Kill où on dirait des humains avec des masques d’animaux.
Quand je joue à Everdell, je vois monsieur et madame Campagnol aller cultiver leurs champs devant moi, je vois le postier Pigeon prendre son envol pour déposer le courrier ou bien Maïtre Castor Architecte établir les plans de construction de mon futur tribunal. Je suis presque triste d’en sacrifier au donjon pour libérer de la place dans ma ville (presque j’ai dis). Tout est propre et dans le détail. Vous voulez le nombre d’occurence d’une carte ? Et bien y’a des marques sur la racine de l’arbre servant de décors aux cartes. C’est malin.
Everdell est surtout connu pour son arbre 3D géant, l’arbre éternel planté au milieu d’Everdell. C’est finalement une déception, l’arbre 3D est plus une épine dans le pied pour le joueur qu’un avantage, c’est sûr, quand on monte l’arbre, il y a un petit effet wahou… mais lorsque l’on commence à être plusieurs autour de la table apparait un problème de lisibilité. Le mieux est d’être placé en face de l’arbre pour voir sereinement les cartes objectifs… A 2 joueurs ça passe à 4, c’est compliqué. Impossible de poser le plateau principal au milieu de la table et de mettre les quatre joueur sur chaque coté de la table. Un des joueurs se retrouvera derrière l’arbre. Au bout de quelques parties, l’arbre s’est retrouvé démonté et on n’a gardé que les cartes objectifs visibles et les saisons.
Si on ajoute que rapidement l’arbre s’abime en le montant / démontant. Autant le laisser en morceaux. Il n’a fallu que 3 parties pour que le carton commence à se dédoublé. C’est rageant pour un jeu à ce prix. Le diable se cache dans les détails et à vouloir trop en faire… Je suis plutôt à la recherche d’un grand tapis de jeu qui reprendrait toutes les extensions avec un arbre 2D. A noter que Starling Games propose un arbre Eternel à 25$ en contre-plaqué, ça ne résout pas les problèmes de lisibilité des événements mais au moins le montage / démontage est moins catastrophique.
En conclusion
Everdell fut à la maison notre véritable coup de coeur en 2021. Il est avec Canvas le jeu auquel on a le plus joué et pris le plus de plaisir l’année dernière. J’ai assez de recul maintenant pour le dire.
J’aime jouer à Everdell et c’est une bonne passerelle vers les jeux de pose d’ouvriers pour les joueurs un peu novices. Il a rejoint la liste des jeux où je ne dis jamais non. J’aime la simplicité et la profondeur du gameplay. Le fait de ne pas devoir dépendre des cartes de productions pour s’en sortir, d’avoir plein de petites mécaniques qui s’imbriquent naturellement sans forcer le gameplay. Et surtout, à l’image de sa direction artistique, le game design est chill si je peux dire. On n’a pas d’affrontement, on n’attaque pas les autres joueurs et c’est vraiment quelque chose que j’apprécie. Cette semaine une personne demandait sur Facebook des conseils de jeux non agressifs et bien Everdell est le bon exemple.
Ce jeu respire la paix et la sérénité, j’ai presque l’impression de jouer avec les Sylvanians de ma petite nièce.
J’aime cette DA magnifique et cet univers merveilleux. On aura droit à une histoire ou plutôt un recueil de contes autour de la vallée d’Everdell. C’est un des add-ons de la dernière campagne Kickstarter. Le texte est intégralement en anglais et même si je préfère une VF, j’ai pris le livre. Je me régale à chaque fois qu’un jeu sort avec un univers étendu.
Ma référence étant Anachrony, j’ai dévoré le livret décrivant avec précision et cohérence le monde et les différentes factions qui le composent. J’ai même ressenti de la peine en lisant le récit de la destruction d’une des factions. Je me rends compte qu’un thème plaqué à l’arrache sur des mécaniques ne m’attire plus. En grossissant le trait si on me dit que tel jeu a comme thème les zombies car les zombies c’est à la mode, et bien je passe. J’aime voir une oeuvre dans son intégralité et surtout que le jeu me parle ou m’évoque des choses. Et ça tombe bien, l’auteur n’écarte pas de sortir d’autres jeux dans le monde d’Everdell. Je rêve d’un RPG à la Mice and Mystics !
A noter que l’on a beaucoup joué en duo avec Chérie. Le jeu tourne très bien à deux joueurs à condition de ne laisser qu’un seul exemplaire de chaque carte commune pour épurer la pioche.
Maintenant vient la question de la version à acheter. Franchement, les bonus de cette version Deluxe hors de prix ne valent pas le coup. Autant prendre la version Matagot sortie en France en décembre 2021… Et chercher le pack de mise à jour Deluxe à la rigueur. Et encore… Les cartes supplémentaires sont-elles sympa ? Assurément. Mais valent-elles 40€. Je vous laisser juger car le reste des bonus collectors ne sont pas pertinents : un peuple supplémentaire (les rats noirs) et des pièces en métal qui ont un rendu très moyen. On n’y croit pas à ces pièces métalliques dorées et brillantes. Il aurait mieux fallu des jetons imitation bois ou même des glands.
Si vous aimez Everdell alors vous aimerez…
On peut retrouver les mécaniques d’Everdell dans de nombreux jeux. C’est d’ailleurs James A. Wilson lui-même qui le dit dans une interview sur Gaming Trend (en anglais). Il s’est inspiré de jeux familiers et en a extrait certaines mécaniques. Si vous avez aimé Everdell, il serait opportun de regarder les jeux suivants :
- L’âge de Pierre pour le coté Pose d’ouvriers
- Wingspan pour les combos et la sensation de montée en puissance
- 7 wonders pour les chaînages
Fiche technique
- Auteur : James A. Wilson
- Illustrateur : Andrew Bosley
- Editeur : Starling Games (2018)
- Localisation française: Matagot (2020)
- Nombre de joueur : 1-4
- Durée d’une partie : 30 minutes par joueur
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